Un premier album et déjà des idées...

Achille, puits de science ou montagne d'inculture?

Achille se présente lui-même comme un "érudit". Il suffit de l'écouter:

"La simplicité désarmante de mon génie m'étonne toujours... Si je n'étais pas aussi modeste, je pourrais aspirer à des destinées éclatantes! "

En même temps, il faut reconnaître que tout le monde ne connaît pas la définition de l'isoplexis, le symbole du boehmite, la monnaie angolaise ou la nature du chaunacanthe! D'ailleurs, Achille avoue souvent mépriser les ignorants, car l'ignorance est, avec l'oisiveté et les bandes dessinées, la mère de tous les vices; c'est bien connu. Dans le premier album de la série comme dans le reste de ses aventures, le fils Talon nous fait part d'une culture en apparence à toute épreuve. Il y écrit même son testament, intitulé "le poids du génie"!

En dehors de ça, Achille Talon est souvent vu comme une référence de savoir archi-complet dans tous les domaines. Pourtant, ce qui m'a frappé en relisant "Les idées d'AT, cerveau choc", c'est le nombre de vides aberrants dans cette culture soi-disant complète. Dès le tout premier gag de la série, Achille se voit poser une question facile dont il n'a aucune idée, et à laquelle même Lefuneste sait répondre: il est alors forcé d'imaginer une solution saugrenue. Plus loin, ces entraves se précisent: il est incapable de trouver quel jour on est. Par son savoir de dictionnaire, notre héros oublie de s'inscrire dans son époque, et surtout d'apprendre les choses pratiques. Il se borne à une connaissance inutile dont il est pourtant très fier.

Si l'on va un peu plus loin, on peut observer que tout son savoir ne vient que des livres, et non de la pratique. Il n'est qu'une machine à ressortir ce qu'il a appris, et chaque application tentée est un échec (la preuve, elle devient un gag!). Cependant, Achille n'est pas dupe sur l'utilisation ratée de son savoir, ce qui est assez étonnant. Si vous lisez pages 5 ou 39, il est même étonné lorsque l'un de ses essais semble fonctionner. Mais malgré cette lucidité dans la pratique, Achille reste très naïf dès qu'il s'agit d'ouvrir un livre. Il se lance même dans des disciplines bien peu scientifiques en étant sûr de leur réussite, du moment qu'elles viennent d'un livre (il tente par exemple page 30 d'hypnotyser Lefuneste).

Bien plus qu'un simple savant maladroit, Achille est donc à lui seul un recueil des contradictions de la culture. Surtout, il nous invite à réfléchir sur tout ce que nous apprenons sans nous demander pourquoi. Après tout, à quoi bon apprendre pour apprendre? Quel intérêt y a-t-il à être cultivé? Doit-on toujours croire une chose dès lors qu'elle est écrite? L'intérêt d'Achille Talon est justement qu'au delà d'être spectateurs, nous devenons acteurs du caractère d'Achille. Pourquoi? Parce qu'Achille n'est pas un simple anti-héros, il est justement comme nous pour beaucoup de choses, et c'est pour ça qu'on l'aime...

Un premier album et déjà des idées... partie 2

Quel Achille découvre-t-on?

Dans ce premier album d'une longue série, c'est d'abord l'enthousiasme de tous les instants qui marque chez le héros. Pour le meilleur mais souvent pour le pire, Achille Talon fourmille d'idées en tout genre et ne renonce jamais. En effet, c'est la malchance qui provoque la plupart des gags, et rend n'importe quelle situation imprévisible. Il faut dire aussi qu'Achille n'est pas aidé, que ce soit par le garçon (p17) ou par Virgule (p45). Il est même souvent innocent, ce malgré quoi il se retrouve toujours face aux forces de l'ordre. Même ses rares excès de gentillesse simple ne sont pas récompensés (p42). En gros, qu'il soit gentil ou méchant, le résultat n'est jamais celui escompté, et Achille est loin d'être le seul en cause.

Cependant, s'il y a une constante récurrente dans tout l'album, c'est bien la fierté omniprésente et déplacée d'Achille. Tout est affaire d'honneur, et pas question d'abandonner en chemin pour perdre la face! Il va même jusqu'à se priver d'électricité ou gâcher un tailleur sur mesure pour ne pas gêner son ego. Quand il s'agit d'une question d'honneur, Achille est d'ailleurs souvent prêt à gaspiller des sommes phénoménales chez Vincent Poursan, pour des babioles. C'est surtout le cas pour ses disputes avec Lefuneste, jamais très variées mais toujours renouvelées, lieux d'une exacerbation colérique rapide. Son joyeux voisin, jamais mal intentionné au départ, trouve toujours le mot juste pour l'énerver dès qu'un désaccord se présente. Il est même maître dans l'art de la moquerie. Peut-être pas autant que Flaubert, mais son art de la métaphore et de la formule appropriée sont toujours frappant. Vous ne me croyez pas? Prenez page 14, lisez attentivement, et si au milieu de la troisième ligne vous n'avez pas ri, c'est que vous êtes irrécupérable! En trois mots, Hilarion fait exploser un Achille pourtant serein; c'est que la critique est LA chose qu'il ne peut supporter, et que justement Lefuneste pratique avec zèle. Rien que dans le tout premier gag de l'album, Achille enjambe la haie mitoyenne et pousse un cri qui résume à lui seul toute sa vision pacifique des relations de voisinage: Taïaut!

Un premier album et déjà des idées... suite et fin

Quelques détails

Prenez votre album "Les Idées d'Achille Talon, cerveau-choc!" et laissez-vous guider.

Allez d'abord à la page 33, il s'agit d'un gag assez ordinaire, où l'on retrouve Achille et son voisin Lefuneste en pleine partie de bataille navale. Admirez au passage l'efficacité des sept premières bulles, presque toutes ponctuées d'un point d'exclamation, qui amènent en quelques secondes au dénouement. Si l'on regarde la situation, elle est absurde; il est impensable qu'Achille n'ait pas aperçu le stratagème élémentaire de Lefuneste pour tricher. Une fois de plus, l'intérêt du gag n'est pas dans l'action elle-même, mais caché dans le dialogue. Ici spécialement, c'est dans un seul petit mot que tout se joue: "réflexion", dans la dernière bulle. Vérifiez! Tout le gag ne sert qu'à amener ce jeu de mot très bien trouvé en rapport avec le dispositif de Lefuneste. Pourtant, on peut passer dessus sans le voir et trouver cette page idiote et naïve; c'est alors mal connaître Greg!

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A la dernière page de l'album, on pourra remarquer la lecture favorite d'Achille: "Les Pensées" de Pascal*. Mais surtout, cette fin laisse entrevoir l'une des caractéristiques originales d'Achille Talon, qui n'est pas présente dans cet album, qui est le lien direct avec le lecteur. La relation étrange qu'a Greg avec le lecteur est très spécifique à cette série: dans ce gag, Achille ne supporte pas que nous le fixions alors qu'il est en train de lire, comme s'il pouvait nous voir en sens inverse. Si vous y faites attention, il y a souvent des parenthèses où vous, lecteur, êtes interpellé comme si vous faisiez partie de l'aventure. L'idée était donc déjà présente dès le premier album.

*Si Achille se plonge toujours dans ce cher Blaise Pascal, en regardant attentivement dans l'album vous noterez que Lefuneste lit quant à lui Marx. Je vous laisse chercher, mais je vous l'assure; c'est encore une trouvaille!

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Pour les connaisseurs, on remarquera p.35 que Vincent Poursan, assis à côté de Virgule, n'apparaît que comme convive et a quitté exceptionnellement sa boutique et son stand. Il fait presque partie de la famille!

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Enfin p.40, on admirera dans ce gag tout l'art du quiproquo dans un dialogue mené à tambour battant, avec Lefuneste bien sur en arrière-plan. Le charme de cette rencontre inattendue est exceptionnel. Chaque personnage transmet ce que lui rappelle l'autre avec cette décontraction propre à la jeunesse, avant que l'enthousiasme ne laisse place à la dure réalité... Les deux regards dans le vide à l'avant-dernière case et le nez de Lefuneste dans la dernière laissent le sourire surpasser le désarroi du malentendu. Malentendu qui est d'ailleurs poussé très loin... toujours dans ce charme innocent très années 70

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Si vous avez décelé d'autres détails amusants dans ce premier album, n'hésitez pas à les faire partager. En tout cas, replongez-vous vite dans cette première oeuvre, les idées loufoques d'Achille Talon ont déjà un charme hors du commun, et pour moi quelques uns des meilleurs gags sont dedans.